éditorial

 

Le plus frappant dans Faire quelque chose, c’est l’esprit de ces témoins – de 87 à 98 ans – déconcertants d’énergie, de malice et d’espoir. Ils avaient autour de 20 ans en 1940, ils nous racontent ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont cru, ce à quoi ils croient encore, plus d’un demi-siècle après cette période à la fois obscure et mythique de notre histoire. Ils nous parlent d’une histoire « à taille humaine ». Une des particularités de ce film est de nous donner à sentir comment la Résistance fut aussi, beaucoup, faite de petits gestes, de coups de sang, d’intuitions, d’émotions.

Des actes de courage insensés, sans aucun doute, mais aussi tout un cortège d’erreurs, de tâtonnements, de déceptions, d’initiatives qui réussissent ou qui échouent à « peu de chose près ».

Faire quelque chose a été conçu comme un portrait – nécessairement subjectif – de la Résistance. L’auteur a cherché à lui donner un visage, par petites touches. Il réunit des récits parcellaires, évoque l’action au quotidien : des distributions clandestines de tracts aux états d’âme avant un sabotage, des premiers attentats antinazis à l’édification d’une organisation nationale, du refus basique de l’inhumain à la proposition d’un projet de société…

C’est peut-être un des aspects les plus saisissants du film : la Résistance, avec un grand R, celle des manuels d’histoire, semble parfois « réglée comme du papier à musique », l’unité coule de source, il y a clairement les héros et les traîtres, et l’histoire se finit par la défaite des nazis. Le moins qu’on puisse dire est pourtant que rien n’était gagné à l’avance pour ces résistants à qui l’on expliquait qu’ils avaient trois mois d’espérance de vie dès lors qu’ils entraient dans l’un des divers mouvements s’attaquant à l’occupant allemand. Et l’unité n’a été obtenue qu’au prix d’une extraordinaire et laborieuse énergie fédératrice. La Résistance était traversée de nombreux conflits entre ses diverses tendances – communistes, socialistes, gaullistes… Il n’empêche, l’un des mystères que révèle le film est bien cette capacité à avoir fait émerger – en même temps qu’une force d’indignation, de défense et de refus – une aspiration qui relève d’une extraordinaire anticipation, d’une préparation du futur.

Il a été possible, dans cette France quadrillée et pillée par l’occupant, d’aboutir à une construction aussi audacieuse que le programme du Conseil national de la Résistance (cf encadré page 2). C’est un des grands mérites du film que de nous inviter à un tel imaginaire créateur : dès 1944, la Sécurité sociale a bel et bien été inventée dans un pays qui manquait de tout, ruiné, humilié, détruit. Les Etats-Unis sont tout juste en train de se doter d’une pareille protection, 70 ans après ! Ce n’était donc pas affaire de richesse ou de puissance économique mais de vision et de conviction quant à la nécessité de protéger les plus fragiles. Et de permettre, plus largement, à chacun d’être soigné quel que soit son héritage social. Voilà qui fait échos évidemment, profondément, à notre époque. Particulièrement si l’on entend ceux qui insistent dorénavant sur le « coût » des hôpitaux, le « coût » des retraites… Alors même que nous sommes plusieurs dizaines de fois plus riches et plus productifs que dans la France dévastée de la fin de la Seconde Guerre ! Que se passe-t-il ? Que s’est-il passé pour que certains réclament rien moins que le « démantèlement » des acquis du CNR ?

Sommes-nous sûrs qu’il n’est pas possible de faire quelque chose ?